Maroc : non assistance à Nature en danger ! (Pardon, c´est un bien long texte pour l´été, mais il y a un joli film rétro et des images à découper !) LES CÈDRES DE LA DERNIÈRE CHANCE La cédraie de l´Atlas marocain est-elle un biopatrimoine de l´humanité ou une « fabrique de moutons » ? Est-il
raisonnable que le bien de tous, et notamment des générations futures,
soit victime d´une mainmise des producteurs de viande ovine et donc
détourné au profit de quelques-uns ? Le Maroc peut-il se soustraire aux exigences légitimes du développement durable et de la préservation de la biodiversité ? Nul
écocitoyen ne doit ignorer que cette « non assistance à Nature en
danger » fait encourir l´anéantissement du dernier écran vert entre le
Sahara et l´Europe et nous ne doutons pas que l´Administration marocaine
en charge du biopatrimoine va prendre rapidement les dispositions qui
s´imposent en ouvrant le débat avec la filière de la viande ovine, afin
que cesse cette mutation d´un écosystème unique en bergerie intensive,
et que la sauvegarde du plus somptueux des arbres du monde méditerranéen
soit assuré in extremis. Touchons du bois ! Naturaliste,
écologue, connaisseur et amoureux de ces contrées, mon éthique
m'interdit de me taire, m'oblige à témoigner. Je n'ai ni les réponses,
ni le pouvoir des remèdes, mais j'espère poser les bonnes questions. Mon
souhait est de réveiller les consciences, que les décideurs mandatés
pour veiller à la bonne gouvernance de ces régions parviennent au plus
vite à inverser les tendances, à trouver une solution consensuelle autre
que celle se satisfaisant de la gestion des préjudices. Ils disposent
des moyens légaux et budgétaires adéquates, de conseillers nationaux et
internationaux suffisamment éclairés qui doivent se mettre au travail
pour en finir une fois pour toutes avec ce laisser-aller ordinaire, aux
conséquences incommensurables. Aujourd´hui, la finitude de l´abus
d´usage de cet écosystème et
de bien d´autres saute aux yeux et condamne irrémédiablement l´avenir.
Il faut soulager la cédraie. Quand les ressources devenues non
renouvelables sont ainsi taries, ce qui est pris n´est plus à prendre.
Même
si, non visionnaire de l´actuelle démographie galopante et du
consumérisme à tout va, l´ancestrale règle coutumière n´indiquait pas de
limitation d´effectifs du cheptel, il n´est personne pour contredire
que le parcours forestier dans son excès est un antagonisme de la
biodiversité. La charge pastorale des écosystèmes maghrébins, et
particulièrement de la cédraie marocaine, est jusqu´à dix fois
supérieure à celle officiellement recommandée, a fortiori dans les
figures dites de protection que sont les parcs, les réserves et les
aires protégées. Pour ces derniers espaces, on peut d´ailleurs se
demander de quoi sont-ils protégés, et compte tenu de la disparité entre
la théorie et la pratique, entre les textes et la réalité du terrain,
en conclure pathétiquement à des concepts schizophréniques induisant des
formalités cosmétiques.
Les
stigmates les plus évidents de la pandémie écologique générée par un
surpâturage chronique à nul autre pareil sont alarmants pour quiconque
ne confond pas la forêt avec un simple alignement d´arbres, mais sait
que l´avenir se décide dans les parties confuses d´un sous-bois bien
garni, couvert d´une strate végétative, gage de croissance des semis
naturels et d´un minimum de régénération. Ici, la forêt est bien loin
d´être pluristratifiée, elle est dénaturée par un sol partout et
systématiquement tondu, dénudé, scalpé, écorché, étrépé, squelettique.
L´écosystème est défiguré par une extrême mortalité et certains versants
ne montrent que des lambeaux de cédraie, ponctués de vétérans moribonds
et de chandelles sur pied. Les griffes d´une désertification accélérée
se traduisent par des pans qui
se sont dégarnis en moins d´une décennie. A chaque retour des pluies,
les lessivages cataclysmiques induits par un substrat ayant perdu toute
porosité infligent d´irrémédiables destructions. Le parcours forestier
de troupeaux sédentarisés grève ainsi lourdement les dernières forêts en
place, et souvent même leurs lambeaux vestigiaux. La dent du bétail
élimine par broutage les jeunes semis, les rejets, les basses branches
et même le feuillage quand en période de disette les ramées ou les cimes
sont coupées par les bergers. Mais le piétinement du même bétail, dont
l´effet peut sembler à prime à bord négligeable, peut avoir aussi de
terribles conséquences sur la compaction du sol par les jeux du
tassement, de la solifluxion, de l´écrasement des plantes non
appétibles.
Tels
sont les ravages de ce pastoralisme intempestif. Il engendre un écocide
lent, une extinction massive des plantes et de la faune. Il condamne le
formidable château d´eau national que constitue ce Moyen Atlas forestier
humide, ainsi que toutes les ressources naturelles sans exception. Il
menace la vie locale, son économie, les nobles traditions d´une société
berbère séculaire, et exacerbe ainsi l´exode vers les grandes villes et
l´étranger. Enfin, il coupe l´herbe sous le pied (!), non seulement aux
moutons de demain, mais aussi aux écotouristes que l´on désirait tant.
Avec
la précaution de ne confondre ni le berger traditionnel de l´Atlas
(déjà orphelin de sa forêt) avec le producteur de viande ovine qui tend à
le remplacer, ni le pâturage itinérant et extensif avec le parcours
sédentaire pour « faire du mouton », filière spéculative dérivante, il
semble opportun de se poser quelques questions :
-
Où est passée la biodiversité des 130.000 ha de cédraie marocaine,
enveloppe de forêt monospécifique désormais vidée de sa flore et de sa
faune, y compris lorsque le cèdre n´est pas dépérissant ? Où sont les
700 espèces botaniques, dont 60 endémiques, les 37 espèces
de mammifères, la plupart des 142 espèces d´oiseaux, les 33 espèces de
reptiles et d´amphibiens recensés, les centaines de papillons et les
milliers d´invertébrés dans les 53.000 hectares du Parc national
d´Ifrane, où partout le sol est celui d´un terrain de football ? Même
l´écrevisse à pied rouge de l´oued Tizguite, devenu cloaque, vit ses
dernières heures.
- Le Maroc peut-il ainsi anéantir ses beaux restes en les livrant sans réserve aux saccages des moutons et des chèvres ?
- L´oviculture exponentielle a-t-elle sa place dans un fragile écosystème, organisé par une essence à valeur patrimoniale ?
-
Est-il raisonnable que le bien de tous, et notamment des générations
futures, soit victime d´une mainmise des producteurs de viande ovine et
donc détourné au profit de quelques-uns ?
- Le Maroc peut-il se soustraire aux exigences légitimes du développement durable et de la préservation de la biodiversité ?
- L´enjeu pastoral ne doit-il pas prendre en compte la pérennité des paysages naturels ?
-
Les droits usagers et le souci démocratique doivent-ils être au service
de l´éradication des ressources ? Faut-il placer l´intérêt économique à
très court terme au-delà du souci de préservation du capital naturel ?
La fin justifie-t-elle les moyens ?
-
Une réelle volonté de débattre ne peut-elle se manifester entre les
gestionnaires de la forêt et ces citadins privilégiés que sont les
représentants de la filière ovine, gros propriétaires des troupeaux
destructeurs, avec d´éventuelles compensations à la réduction du nombre
de têtes ?
-
Aucune instance experte n´est-elle apte à proposer des solutions
économiques alternatives aux simples bergers, aux petits propriétaires
de cheptel caprin dont les dégâts sont démesurés pour un bien modeste
profit, voire à ces familles défavorisées et en charge de la garde des
troupeaux surnuméraires incriminés ?
-
Les bailleurs de fonds doivent-ils continuer à dilapider de faramineux
budgets en soutenant des programmes de reboisements et de régénérations
illusoires, dont les périmètres en défens sont toujours et trop
rapidement livrés à la dent des ovins et des caprins, donc à la faillite ?
Faut-il
poursuivre les coupes rases du sous-bois de chênaie verte pour exposer
le sol à l´érosion hydrique et produire ainsi « une désertification
locale sans qu´il y ait diminution dans les volumes des précipitations
annuelles » (Benabid, 2000) (Le niveau de pluviosité des montagnes
ifranaises atteignent 1200 mm sur les sommets !)
-
Faut-il continuer à se gargariser des statistiques amphigouriques de
forêts abiotiques et fossilisées, de carcasses vidées de leurs
biocénoses, au substrat scalpé, à la flore tondue et piétinée, à la
faune évincée, agrémentées des chiffres aléatoires de reboisements en
sursis ? En un mot, faut-il surenchérir avec des effets d´annonces et
des communications redondantes afin d´occulter, par un batelage
médiatique, une vérité qui est celle de la politique de la terre
brûlée ? Ou convient-il d´utiliser au mieux cette énergie du désespoir
en prenant à témoins les citoyens pour un effort collectif, un respect
de fer des normes légitimes de préservation, un meilleur discernement
garant d´avenir ?
-
Faut-il encore et enfin, au nom du sempiternel et juteux système des
connivences, semer le trouble en jetant l´opprobre sur l´hurluberlu
désintéressé qui témoigne du gaspillage et porter au pinacle, voire
subventionner, l´agresseur de la biosphère comme éternel partenaire
économique ?
-
Si la vision (dimension prospective) est reconnue comme la qualité
première d´un homme politique, où va-t-elle se nicher quand il s´agit de
veiller sur les ressources naturelles de notre planète ?
- Ici et là, l´âge de raison pourrait-il prévaloir dans la conduite environnementale du XXIe siècle ?
-
Enfin, si l´on voulait vraiment pérenniser ce qu´il reste des
écosystèmes du Maroc et de notre planète, il faudrait vraiment commencer
par baisser notre ration irraisonnée de barbaque ! Respect à nos amis
végétariens et végétaliens qui l´ont compris depuis longtemps !
La
sauvegarde de la forêt de cèdres, comme de l´essentiel des écosystèmes
marocains et de leurs sites, passe obligatoirement par une politique
volontariste d´allègement et de régulation de la charge du cheptel,
actuellement en complète inadéquation avec les ressources disponibles.
Faute d´un tel contrôle de la pression pastorale devenue intolérable et
de propositions de solutions alternatives, tout programme conservatoire
serait vain. Pour ce qui concerne les sites les plus atteints, et
notamment ceux de la cédraie, un répit radical doit être adopté par la
promulgation in extremis de réserves biologiques, intouchables et sans
limitation de durée.
Quant
aux coûteuses plantations de jeunes et fragiles semis, si le
piétinement et la dent du cheptel ne sont pas éloignés à très long
terme, ils ne correspondent qu´à des ersatz de reboisements, à des
programmes pour le prestige, parce que sans la moindre chance de
transformation. Quand la forêt est libérée des pressions tant de
l´élevage que des manies de la foresterie, les semis naturels et
« gratuits » sont les garants d´une parfaite régénération.
C´est maintenant et tout de suite que les pouvoirs publics concernés doivent s´interroger et agir dans la foulée.
On
a beaucoup parlé ces derniers temps de cèdres coupés illégalement et de
bois délestés dans le Moyen Atlas. Il est certes désolant qu´il puisse
exister une mafia du cèdre, qui plus est de connivence avec quelques
représentants des autorités. Il faut combattre cette délinquance et la
corruption qui la permet. Mais il faut aussi veiller à ce que
l´existence d´un tel fait divers ne serve pas à occulter les agissements
des vrais fossoyeurs de la cédraie que sont les acteurs de la filière
ovine, du petit berger innocemment responsable au grand propriétaire
absent et gravement coupable. Les tribulations évènementielles d´une
prétendue mafia du cèdre permettent de dresser un écran de fumée trop
pratique sur une problématique beaucoup plus réelle, ravageuse,
permanente et tenace que sont le surpâturage et la mort
biologique du sol qu´il induit. Comme l´arbre ne doit pas cacher la
forêt, le cèdre volé ici ou là ne doit pas cacher la fin de la cédraie
par la faute d´un abus d´usage généralisé et décomplexé.
Cet article fut rédigé pour l´excellent site de la Buvette des Alpages :
http://www.buvettedesalpages.be/2011/08/-cedraie-au-maroc-non-assistance-a-nature-en-danger.html On peut noter un pareil constat dans les années 1950, avec ce vieux reportage à fort relent colonialiste :http://www.ina.fr/economie-et-societe/environnement-et-urbanisme/video/AFE01000187/la-foret-marocaine.fr.html Du même cru et de
Louis Emberger (1938 !) : « La
montagne marocaine, si l´on y prend garde, court vers sa ruine
définitive. La destruction de la végétation engendre la ruine
économique, et celle-ci provoque la dépopulation. » Accès au script d´un film très édifiant sur le pastoralisme du Moyen Atlas, tourné il y a déjà un bout de temps par l´un des plus éminents experts en élevage pastoral :
http://museum.agropolis.fr/pages/savoirs/berger/complements.htm Cette interview critique date de 2005 mais reste toujours valide dans ses assertions :
http://www.medi1.com/player/player.php?i=1292917 ************
Nuançons ! Une suite s´impose pour ne pas paraître ingrat. La voici. LES EFFORTS DU MAROC